Dès son entrée en scène, la chanteuse Muriel Bruno invite les spectateurs à un voyage dans l'espace (Angleterre, France, Espagne, Italie) et le temps, du 14ème siècle à l'époque actuelle. Car si tous les morceaux du répertoire de Music 4 a While datent de la fin du Moyen-âge au début de la Renaissance, ils sont interprétés de manière très contemporaine. Muriel Bruno poursuit en faisant un parallèle entre les musiciens baroques et les jazzmen, friands de voyages et de rencontres avec d'autres musiciens, et pratiquant eux aussi l'improvisation.
Après cette courte présentation, le premier morceau, "Rossignolet du Bois", un traditionnel français du quatorzième siècle, donne le ton ! Si la superbe voix de soprano de Muriel Bruno reste très ancrée dans la musique ancienne, les arrangements dus au pianiste Johan Dupont s'en écartent radicalement. Tout d'abord, l'instrumentation : rappelons par exemple que le piano n'existait pas à cette époque et que les instruments à cordes et anches étaient très différents des instruments utilisés par Music 4 a While. Les arrangements ensuite, très variés et modernes, avec des harmonies parfois contemporaines, parfois évoquant des musiques traditionnelles européennes, avec un rythme très présent. L'absence de percussions ne se fait pas sentir, certains morceaux possèdent une énergie qui donne envie de danser ! Eh oui, la musique baroque peut swinguer, le jazz n'a pas tout inventé ! Il faut dire que l'engagement des musiciens y est pour beaucoup. La présence physique de la pétillante et sensuelle Muriel Bruno, les envolées du violon de Martin Lauwers et de la clarinette de Jean-François Foliez, l'énergie du grand pianiste qu'est Johan Dupont, et la contrebasse toujours aussi élégante d'André Klenes, tout concourt à faire de cette formation un groupe de scène dont l'enthousiasme ne peut que provoquer l'adhésion d'un vaste public, qu'il soit amateur de jazz ou de musique ancienne.
Revenons un peu sur le répertoire : un traditionnel catalan, une tarentelle napolitaine, un anonyme espagnol du quinzième siècle, des morceaux du 14ème signés Guillaume de Machaut, un coquin "Satyre Cornu" écrit par Gabriel Bataille en 1613, alternent avec des compositions de Monteverdi et de Dowland, dont "Flow My Tears" présenté par Muriel Bruno comme "le premier blues de l'histoire". Certains de ces morceaux sont enregistrés sur le premier album éponyme de "Music 4 a While", les autres le seront sur le suivant dont l'enregistrement est en préparation.
Toutes ces compositions sont porteuses d'une émotion remarquablement servie par les arrangements de Johan Dupont, exceptionnels tant dans le raffinement que dans l'énergie, l'interprétation enthousiasmante de tous les musiciens, et leur complicité avec la magnifique voix de soprano de Muriel Bruno dont on gardera en mémoire le regard pétillant et les ondoiements de sa robe rouge au milieu de ses "men in black".
Le premier rappel "Je Vivroie Liement", signé Guillaume de Machaut, "parce qu'en ces temps difficiles, il ne faut pas oublier de profiter de la vie", dixit Muriel Bruno, est suivi par "Five Knacks for Ladies" de Dowland, introduit façon rockabilly ou presque par Johan Dupont pour terminer ce merveilleux concert sur une note euphorique.
Patrice Boyer